Les aventures de Lolo Tuerie l’holothurie

mi-femme, mi-concombre de mer et DJ des bas-fonds musicaux

J’ai compris qu’il y avait un problème le jour où j’ai réalisé que le même mec avait le pouvoir de me confier des platines ou de me mettre sur le trottoir. Un problème à tous les niveaux : personnel, inter-personnel, social, structurel. Il n’y avait pas anguille sous roche, mais baleine sous gravillon.

On faisait du stop en pleine nuit sur une grande avenue d’une ville où je ne connaissais personne, parce qu’on avait raté le dernier train. L’homme en question était un amoureux avec qui je partageais une passion pour la musique et les disques vinyles, et c’est la première personne à m’avoir poussée à mixer, puis programmée comme DJ. Ce soir-là j’ai servi d’appât pour que les voitures s’arrêtent — et repartent aussitôt, voyant surgir le compère de derrière les buissons. Je ne voulais pas jouer à ça, mais je l’ai fait. J’ai lâché l’affaire quand on m’a demandé mes tarifs. Nous savions l’un comme l’autre que cette vague « stratégie » ne marcherait jamais. Lui, ça le faisait rire. Moi, je me sentais mal. La scène était terriblement banale. Un mauvais moment d’humour potache à passer.

Ma première erreur était de croire que dans la nuit urbaine, mieux valait rester avec cet homme que de me retrouver seule (merci les discours anxiogènes qui nous font croire que nos agresseurs sont des inconnus embusqués au coin d’une rue coupe-gorge). Mais il m’a fallu des années pour comprendre tout ce qui se jouait dans ces messages contradictoires : je suis ton protecteur, mais je peux te mettre en danger ; je suis ton promoteur, mais j’ai le pouvoir de t’humilier. Ces abus de pouvoir étaient en fait à l’image de l’ensemble du milieu musical dans lequel j’évoluais alors, celui des collectionneurs, diggers et DJ de diverses niches, rythmé par les démonstrations de force et autres concours de bites. Jeune femme isolée dans ce domaine principalement arpenté et balisé par de petites bandes d’hommes cis, j’ai fait de ces microcosmes un terrain d’observation du sexisme et de logiques finalement très semblables aux logiques dominantes. Cet article retrace la naissance d’une passion et le chemin d’une émancipation peut-être incomplète, mais salutaire, vis-à-vis des milieux du digging et du DJing tels que je les ai connus de 2010 à 2015 environ, époque où je vivais à Paris ou alentours. Il ne s’agit pas plus de dénoncer des individus aux comportements nuisibles que de distribuer des bons points à ceux qui m’ont sincèrement et véritablement soutenue. Ces rapports-là, de confrontation et de complicité, je les travaille à bras le corps dans ma vie personnelle. L’enjeu de ces pages est différent : pointer des problèmes structurels, mais aussi exprimer la joie que m’apporte l’exploration d’une pratique musicale à laquelle aucune sombre merde ne m’a fait renoncer.

L’intégralité de cet article-récit-boîte-à-outils est disponible dans le n° 5 de la revue Ventoline, avec des illustrations de Morgane Le Ferec.

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