« Standing Female Nude », 1985
Nu féminin debout Six heures à tenir pour quelques francs. Ventre miches nibard en plein jour, il me prend mes couleurs. Un peu plus à droite, Madame. Et merci de ne plus bouger. Mon sort sera d’être analysée et pendue aux murs de grands musées. La bourgeoisie s’extasiera devant l'image de cette pute fluviale. Ils appellent ça de l’Art. Peut-être. Il s’inquiète des volumes, de l’espace. Moi, du prochain repas. Vous maigrissez, Madame, faites attention. J’ai les seins qui tombent un peu, il fait froid dans l’atelier. Dans les feuilles de thé je vois la Reine d’Angleterre contempler ma silhouette. Magnifique, murmure-t-elle en passant. Ça me fait marrer. Il s’appelle Georges. Les autres disent que c’est un génie. Il lui arrive de perdre sa concentration et de tendre vers ma chaleur. Il s’empare de moi sur la toile chaque fois qu’il trempe sa brosse dans la peinture. Petit homme, tu ne pourras jamais t’offrir les arts que je vends. Aussi pauvres l’un que l’autre, on se débrouille comme on peut. Je lui demande Pourquoi faites-vous ça ? Il le faut. Je n’ai pas le choix. Taisez-vous. Mon sourire le trouble. Ces artistes se prennent trop au sérieux. Le soir je me gorge de vin et je danse de bar en bar. Il me montre fièrement l’œuvre achevée, allume une cigarette. Je dis Douze francs et j’attrape mon châle. Elle ne me ressemble pas.
Traduction : Fanny Quément