Poèmes élisabéthains

Chagrins, morts, désespoirs et tourments.

Ces poèmes (anonymes) de la Renaissance anglaise ont été mis en musique par John Dowland. Mes traductions sont vouées à rester au stade de l’ébauche comme jeu ou simple proposition.

Que les ténèbres soient ma demeure
 
Que les ténèbres soient ma demeure, son plancher le malheur,
Son toit le désespoir m’éclipsant toute allègre lueur,
Ses murs du marbre noir qui pleurera même sous la pluie,
Ma musique un enfer dissonant pour bannir le sommeil chéri.
Ainsi, uni à mes peines et couché dans ma tombe,
Ô, que je meure toute ma vie et que vienne enfin la mort.

Texte original : "In Darkness let me dwell"
Coulez, larmes de cristal
 
1
Coulez, larmes de cristal, comme les averses du matin,
Et gagnez tendrement le sein de votre dame.
Et comme la rosée ravive les fleurs qui fanent,
Que vos perles de pitié fassent leur chemin
Et réveillent en elle le souvenir de mon mérite
Par trop endormi sitôt que je la quitte.
 
2
Hâtez-vous, soupirs inquiets, et que votre souffle ardent
Fonde les glaces de son cœur endurci,
Dont la froide rigueur, comme la Mort est oubli,
Reste insensible à mon mérite avenant,
Pourtant je lui voue les soupirs et les pleurs
D’un cœur pur et d’yeux patients. 

Texte original : "Go Crystal Tears"
Je vis ma dame en pleurs  
 
1
Je vis ma dame en pleurs,
Et le Chagrin fier d’être ainsi montré
En ces beaux yeux où tout demeure parfait,
Son visage n’était plus que malheur ;
Mais un malheur (croyez-moi) à gagner plus d’âmes
Que la Gaieté n’en peut séduire de ses charmes.

2
Là, le Chagrin devint beauté,
La Passion, sagesse, les larmes, un plaisir,
Le silence au-delà de toute parole, une rare sagacité,
Elle fit chanter ses soupirs,
Animant le monde d’une tristesse si douce,
Que mon cœur fut soudain tant amour que chagrin.

3
Ô, toi dont la beauté
N’a d’égale en ce monde, sèche vite tes pleurs,
Assez, assez, ton allégresse triomphe,
Les larmes font périr les cœurs.
Ô, n’essaie point de triompher par ta peine,
Qui ne veut que défaire ta beauté souveraine.

Texte original : "I saw my Lady Cry"
Si mes complaintes pouvaient traduire les passions

1
Si mes complaintes pouvaient traduire les passions
Ou montrer à l’Amour en quoi je souffre injustement :
Mes passions suffiraient à prouver
Que mes désespoirs me gouvernent par trop longtemps.
Ô mon amour, en toi je vis et meurs,
Ton chagrin dans mes profonds soupirs résonne encor :
Tes plaies s’ouvrent à nouveau dans mon corps,
Sous ta rudesse se brise mon cœur :
Mais tu espères quand mon espoir s’est envolé,
Et quand j’espère, tu me fais espérer vainement,
Tu dis que tu ne peux soigner mes plaies,
Mais en retour, tu me laisses chanter mon tourment.
 
2
L’Amour peut-il être riche, et moi dans le besoin ?
L’Amour est-il mon juge, et moi son forçat? 
Tu as la fortune, mais ne m'accordes presque rien,
Tu fis un dieu, mais ton pouvoir tu méprisas.
Que je vive relève de ton pouvoir,
Que je désire relève de ton mérite,
Si l’Amour rend la vie des hommes trop amère,
Que je n’aime point et que la vie me quitte,
Que mes espoirs meurent, et non ma foi,
Pour que vous, éventuels témoins de ma chute,
Puissiez entendre du désespoir la vraie voix :
Je fus plus fidèle à l’Amour que l’Amour ne le fut envers moi. 

Texte original : "If my Complaints could passions move"

Traductions : Fanny Quément