Outrage à la Muse Mimétique

Bienviolence poétique

Eavan Boland, poète irlandaise prolifique, publie « Tirade for the Mimic Muse » en 1980.

Outrage à la Muse Mimétique

Je t’ai eue. Salope. Espèce de gros thon
T’étais planquée dans les effluves de tes bougies.
Leur crème jaune t’exhume face au miroir.
Toutes ces œillades et ces moues !
Comme tu t’y déniches un visage !
Tout le monde te prendrait pour une catin,
Pour une vieille pute HS le cœur sur la main.
Moi je sais que t’es la pire des garces :
Notre criminelle, notre tricoteuse, notre Muse —
Notre Muse de l’Art Mimétique.

Fard à paupières, recourbe-cils, blush,
Roses vifs, rouges en pots, en bâtons,
Des glaçons pour les pores, un masque d’argile…
Tous les nouveaux petits trucs.
Rien ne pourra camoufler
La mort d’un millénium au fond de tes yeux.
Tu voudrais éclaircir tes orbites endeuillées :
Tes airs d’amante ont affamé tant de victimes.
T’es foutue. Aucun pinceau, aucune retouche
Ne pourra maquiller ton crime.

Il t’en aura fallu des tambours et des danses, des tours
Des rituels et des flatteries de guerre,
Des chants et des flûtes et des rites vides de sens
Et des hommes belliqueux
Et des femmes patientes, au bord des larmes,
Pour t’éviter les ridules aux paupières,
Les poils aux tétons,
Les trahisons que fomentent les miroirs de nos chambres…
Comme tu as fui

L’étau de la cuisine et les tâches harassantes,
Les traces de doigts et le verre brisé,
Le cri des femmes battues,
Le crime des enfants brutalisés,
Le vacarme déchirant de la souffrance ordinaire
Qui demande asile entre les murs des pavillons,
Un monde que tu aurais pu abriter sous tes jupes —
Mais je sais bien, oh oui, je vois bien maintenant
Comme tu as bouclé ta ceinture et brossé ton ourlet
D’un revers de la main.

Et moi qui pour devenir adulte ai parcouru les dédales
De tes nombreux palais des glaces, toute en mimiques,
Et dire que je me suis salie pour toi !
Dans l’espoir que ta lampe de vamp,
Ton miroir, révèlent
À ce monde tout ce que j’avais besoin de connaître :
L’amour et l’amour encore et l’amour encore.
Parmi les effluves des couches, le linge sale
Et les piles de vaisselle
Ton miroir s’est fendu,

Ta chance a tourné. Regarde. Mes mots piétinent
Tes roses, tes pots et tes bouses à lèvres.
Finis les fards à paupière, les recourbe-cils et le blush.
Mets ton visage à nu,
Dévêts ton esprit,
Lave toi dans les larmes d’une femme.
Je t’arracherai à ton sommeil facile.
Te montrerai de vrais, de terribles reflets.
Tu es la Muse de tous nos miroirs.
Regarde ce qu’ils montrent et pleure.



Texte original : « Tirade for the Mimic Muse », Eavan Boland, In her own Image, 1980.

Traduction : Fanny Quément