De la perte
« One Art » / « Un art » est une villanelle, c’est-à-dire une forme poétique fondée sur le retour de deux vers rimés au fil de cinq tercets suivis d’un quatrain. L’art dont parle « One Art » est l’art de la perte comme art de vivre et comme art poétique. L’occasion d’apprendre à perdre les rimes ?
D’abord les garder :
Un art L’art de perdre n’est en rien difficile : tant de choses semblent si franchement vouloir être perdues que leur perte n’a rien d’un péril. Perdez chaque jour une chose. Acceptez le tracas fébrile des clefs perdues, l’heure qui tient du cauchemar. L’art de perdre n’est en rien difficile. Entraînez-vous alors à perdre plus et plus vite : des lieux, des noms, et d’un prochain départ la destination. Cela n’aura jamais rien d’un péril. J’ai perdu la montre de ma mère. Et regardez ! Voilà que file la dernière ou presque des trois maisons chères à mon cœur. L’art de perdre n’est en rien difficile. J’ai perdu deux villes, fort jolies. Et plus que des villes, mes propres royaumes, deux fleuves, un continent à part. Ils me manquent, mais il n’y avait là aucun péril. — Même te perdre, toi (la voix malicieuse, un geste que j’adore) ne me fera pas mentir. Il est notoire que l’art de perdre n’a pas grand-chose de difficile bien que l’on puisse y voir (oui, écrivez-le !) comme un péril.
Mais le péril en lieu du désastre (« disaster ») pour décrocher la rime, c’est un peu dommage. Alors, faire place au désastre en perdant toute rime :
Un art L’art de perdre n’est en rien difficile : tant de choses semblent brûler d’une envie d’être perdues que leur perte n’est pas un désastre. Perdez chaque jour une chose. Acceptez l’agitation des clefs perdues, l’heure de tracas. L’art de perdre n’est en rien difficile. Entraînez-vous alors à perdre plus et plus vite : des lieux, des noms, et la destination de votre prochain voyage. Cela n’aura jamais rien d’un désastre. J’ai perdu la montre de ma mère. Et regardez ! La dernière ou presque de mes trois chères maisons m’a quittée. L’art de perdre n’est en rien difficile. J’ai perdu deux villes, fort jolies. Et plus encore, mes propres royaumes, deux fleuves, tout un continent. Ils me manquent, mais cela n’avait rien d’un désastre. — Même te perdre, toi (la voix malicieuse, un geste que j’adore) ne me fera pas mentir. Il est évident que l’art de perdre n’est pas vraiment difficile bien que l’on puisse y voir (oui, c'est le mot !) comme un désastre.
Est-ce à dire que qui perd gagne ? Au final un équilibre à trouver, et l’audace d’une métamorphose in extremis :
Un art L’art de perdre n’est en rien difficile : tant de choses semblent si franchement vouloir être perdues que leur perte n’a rien d’un désastre. Perdez chaque jour une chose. Acceptez la quête fébrile des clefs perdues, la bonne heure de tracas. L’art de perdre n’est en rien difficile. Entraînez-vous alors à perdre plus et plus vite : des lieux, des noms, et d’un prochain départ la destination. Cela n’aura jamais rien d’un désastre. J’ai perdu la montre de ma mère. Et regardez ! Voilà que file la dernière ou presque de mes trois chères maisons. L’art de perdre n’est en rien difficile. J’ai perdu deux villes, fort jolies. Et plus que des villes, mes propres royaumes, deux fleuves, tout un continent. Ils me manquent, mais cela n’avait rien d’un désastre. — Même te perdre, toi (la voix malicieuse, un geste que j’adore) ne me fera pas mentir. Il est évident que l’art de perdre n’est pas vraiment difficile bien que l’on puisse y voir (oui, écrivez-le !) comme un péril.
Je veux des rimes, pas des chevilles.

Traductions : Fanny Quément
Cet exercice de traduction s’inscrit dans une série contre l’épuisement :